Que ce soit pour améliorer sa retraite, financer son maintien à domicile ou aider ses enfants, la vente en viager de la résidence principale ou secondaire entre progressivement dans les mœurs. Alors, pourquoi pas vous ?
Article paru dans Le Particulier n°1182 -Juin 2021. Par Valérie Valin-Stein
C’est la baisse du rendement de leur assurance vie qui a convaincu Colette et Paul, un couple d’octogénaires mariés depuis plus de 50 ans, de vendre en viager leur résidence principale, située aux Sables-d’Olonne, en Vendée. « Tant que notre contrat rapportait autour de 4 % par an, cela suffisait pour compléter notre retraite et vivre tranquillement. Mais le rendement a progressivement chuté et nous avons dû piocher dans notre capital pour maintenir notre niveau de vie. Sans héritier en ligne directe, l’idée du viager a germé, explique Paul. Nous ne savions pas à qui nous adresser
jusqu’à ce qu’une agence spécialisée ouvre aux Sables. Nous avons pensé, à juste titre, qu’elle allait être au fait du marché local. » Avec Colette, ils ont opté pour la perception d’un capital (aussi appelé bouquet) de 50 000 €, destiné à renflouer leur assurance vie, assorti d’une rente mensuelle de 1 000 €. « Si je disparais le premier, grâce au mécanisme de réversion, mon épouse percevra l’intégralité de la rente », se rassure Paul.
Le cheminement a été presque identique pour Michel qui, il y a 3 ans, a vendu en viager son vaste atelier d’artiste de la butte Montmartre, à Paris. « Cette décision a été prise au terme d’une longue maturation. Mais je n’arrivais plus à vivre de ma retraite et je me privais sur tout. Au bout d’un moment, j’en ai eu assez de me nourrir de féculents et de sardines en boîte, il m’en reste d’ailleurs encore quelques-unes de cette période peu faste, raconte-t-il avec humour. Grâce à la vente de mon appartement, j’ai recommencé à sortir, à voyager un peu pour aller voir des amis et, surtout, ayant une maladie orpheline invalidante, j’ai pu prendre une femme de ménage quelques heures par semaine pour m’aider dans les tâches domestiques. »
Encore trop d’idées reçues
Comme Paul, Colette et Michel vous souhaitez peut-être améliorer vos revenus au quotidien, ou bien il s’agit d’assumer le coût de votre dépendance ou d’aider vos proches ? Pourquoi ne pas monétiser votre résidence principale ou secondaire ?
Aujourd’hui, « hériter de soi-même » n’est plus un tabou… ou presque ! Car certains préjugés ont la vie dure. De nombreux candidats potentiels à la vente en viager s’autocensurent encore par crainte du regard des autres, notamment de leurs enfants. Les mentalités, heureusement, semblent évoluer. « Il y a 15 ans, aucune des personnes qui vendaient en viager n’avait d’héritiers directs. C’est moins vrai aujourd’hui. Pour certains, la monétisation d’un logement va leur permettre d’aider leurs enfants de leur vivant. C’est aussi une bonne solution pour limiter les conflits au moment de la succession », explique Reza Nakhaï, associé fondateur de l’agence spécialisée Viva Viager. « Grâce à la vente de notre appartement, nous avons pu aider notre fille à rénover sa maison, et financer les études et les permis de conduire de nos petits-enfants », se réjouissent à l’unisson Régine et Pierre, un couple nantais. « Vous êtes libres de disposer de vos biens et vous n’avez pas à obtenir l’accord préalable de vos enfants. Si nécessaire, expliquez-leur que si vous rencontrez des difficultés financières, ils devront vous aider au titre de l’obligation alimentaire des articles 205 à 207 du code civil », rappelle opportunément Sophie Richard, fondatrice du réseau Viagimmo.
Contrairement à une autre idée reçue, tous les biens peuvent se vendre en viager, pas uniquement ceux situés à Paris ou sur la Côte d’Azur. Ainsi, Martine a trouvé preneur pour, selon ses propres termes, « sa petite maison de poupée » au Quesnel, à une quarantaine de kilomètres d’Amiens. « C’est une maisonnette de 50 m² que j’utilise pour les vacances et les week-ends. Je l’ai vendue en prévision du jour où je ne pourrais plus conduire et m’y rendre. À ce moment-là, mon acheteur aura le droit de l’utiliser mais il devra me verser une rente mensuelle plus élevée qu’aujourd’hui »,
nous apprend-elle. Son cas n’est, semble-t-il, pas isolé, certains investisseurs institutionnels se sont même spécialisés dans les petits logements. « À côté des fonds comme ceux d’Arkéa ou de Viagénérations, qui acquièrent des biens à plusieurs millions d’euros à Paris ou dans les grandes métropoles, il y en a d’autres qui ont développé une vraie politique sociale. Par exemple, le fonds de la MGEN [la mutuelle de l’Éducation nationale, NDLR] rachète les biens de ses adhérents à travers la France. D’autres acteurs ont aussi vocation à favoriser le viager en milieu rural », expose Éric Guillaume, président de Virage-Viager et fondateur du dispositif de Viager Mutualisé Vitalimmo.
Gare au viager en famille
La valorisation dépend de l’âge
Vos craintes sont apaisées ? Il faut maintenant à évaluer la somme que vous pourrez retirer de la vente en viager de votre maison ou de votre appartement. Dans plus de 90 % des cas, le vendeur souhaite continuer à habiter dans le logement, on parle alors de « viager occupé ». Pour tenir compte du fait que l’acheteur (appelé débirentier) ne pourra pas profiter du bien avant le départ (en maison de retraite, par exemple) ou le décès du vendeur (le crédirentier), un abattement est appliqué sur la valeur vénale du bien, c’est-à-dire le prix pouvant être obtenu dans le cadre d’une vente classique. « La valeur économique du droit d’usage et d’habitation, le DUH, accordé au vendeur dépend de son âge et de son sexe, déterminants dans l’estimation de son espérance de vie, ainsi que de sa situation matrimoniale. Pour la calculer, les notaires et les viagéristes utilisent généralement le barème Daubry qui fait référence en la matière. Par exemple, la valeur du droit d’usage s’établit à 40 % pour un homme de 77 ans, à 41,6 % pour une femme de 80 ans, à 55,7 % pour une femme de 70 ans et à 41,8 % pour un couple composé d’un homme de 77 ans et d’une femme de 80 ans », détaille Stanley Nahon, directeur général associé de Renée Costes, premier réseau français de transactions en viager. « Le montant du viager sera plus faible si le vendeur est une femme, celle-ci ayant une espérance de vie plus longue qu’un homme. Il en sera de même si le calcul tient compte de deux personnes plutôt que d’une seule, célibataire ou veuve, en raison de la réversibilité de la rente », complète Sophie Richard.
Monétisation à la carte
Une fois que vous avez estimé la valeur viagère de votre bien, il convient de choisir les modalités de règlement de cette somme. La plupart des vendeurs optent pour une répartition entre un capital (bouquet) payé au moment de la vente et une rente perçue à vie. Mais vous pouvez préférer recevoir la totalité du capital (sans toucher de rente) ou l’inverse.
Le montant annuel de la rente est calculé en appliquant à la valeur viagère du bien un taux dit « de rente » (il est fourni aussi par le barème Daubry) intégrant les mêmes éléments (âge, sexe…) que ceux utilisés pour déterminer le DUH. Par exemple, un couple de 78 ans peut bénéficier d’un taux de rente de 7,16 %. Pour un bien de 150 000 €, après application d’un droit d’usage et d’habitation de 52,2 %, le couple touchera une rente de 597 € par mois s’il veut percevoir un bouquet de 50 000 €, et de 895 € par mois s’il privilégie uniquement la rente. « Si vous souhaitez protéger votre conjoint ou compléter vos revenus, un montant de bouquet plus faible et une rente viagère plus élevée sont à privilégier. Si vous projetez d’aider vos proches, préférez un bouquet plus important », recommande Sophie Richard.
Les clauses à prévoir
La rédaction du compromis de vente signé entre vous et votre acheteur est une étape importante. C’est à cette occasion que vous allez préciser les droits et obligations de chacun. Si vous oubliez une clause, vous ne pourrez pas l’ajouter. Si celle-ci est mal rédigée, il sera impossible de la modifier : elle figurera dans l’acte authentique signé chez le notaire. « Il faut systématiquement prévoir une revalorisation annuelle de la rente et préciser la répartition des charges entre le vendeur et l’acheteur. Il est d’usage que le premier s’acquitte de l’entretien et des petites réparations et le second des travaux importants », témoigne Bruno Jarry, directeur juridique de Viager Consulting. « Si le viager porte sur deux têtes, il faut acter la réversibilité de la totalité de la rente au conjoint survivant », précise Sophie Richard.
N’oubliez pas, par ailleurs, que la vente en viager occupé ne vous fait généralement pas bénéficier d’un usufruit (qui est un droit immobilier réel), mais d’un simple droit d’usage et d’habitation. Vous le perdez dès lors que vous n’utilisez plus le bien : votre acheteur peut alors s’y installer ou le louer. Vous devez déterminer les modalités de la perte de ce droit en prévoyant, par exemple, une majoration de la rente. Enfin, il faut vous protéger d’un éventuel défaut de paiement. « La meilleure solution est d’insérer une clause résolutoire de plein droit. Contrairement à une clause résolutoire classique, lorsque celle-ci est mise en œuvre, le juge n’a aucun pouvoir d’appréciation et ne peut que constater la résolution du contrat », explique Julien Chaton, notaire à Troyes et membre du Groupe Monassier.
Les atouts du viager libre
Chaque partie est gagnante
Contrairement à ce que l’on peut penser, le viager ne se résume pas à une affaire de gros sous : les intérêts des parties ne sont pas forcément antagonistes. « D’un côté, on a un vendeur qui cherche à améliorer son quotidien et, de l’autre, un acheteur qui veut sécuriser son avenir grâce à l’immobilier », constate Sophie Richard. Elle assure même avoir vu des débirentiers affectés par la disparition de leur crédirentier. Bien loin des poncifs véhiculés par Le Viager, de Pierre Tchernia ou Le Petit Fût, de Maupassant.