L’achat en viager permet d’investir à long terme dans la pierre en bénéficiant d’une décote liée à l’âge du sénior qui reste dans les murs. Cette formule n’alourdit pas la fiscalité du nouveau propriétaire mais génère des charges récurrentes.
Article paru dans Les Échos du 11 juin 2021. Par Laurence Boccara
Devenir propriétaire d’un bien immobilier avec une décote allant de 20 % à 60 % : c’est l’atout phare d’un achat en viager. Cette mécanique donne la possibilité d’investir dans la pierre à un prix allégé en contrepartie d’un engagement à verser une rente viagère au senior.
En optant pour cette formule, il est rare de jouir immédiatement du bien. Sa libération dépend généralement du décès du senior. Cet aléa de taille douche souvent l’enthousiasme des acquéreurs potentiels. Car la réalisation proche ou lointaine du décès peut changer totalement la donne financière. Ce mode d’acquisition si particulier séduit malgré tout des épargnants souhaitant placer leurs liquidités dans la pierre.
Un placement pour la retraite
Certains utilisent ce placement afin de se préparer un patrimoine qui sera mis à contribution une fois à la retraite. Dans plusieurs (dizaines) d’années l’habitation devenue libre pourra alors être louée afin de générer des revenus locatifs ou être cédée avec une possible plus-value à la clé.
« C’est une forme de retraite par capitalisation », résume Sophie Richard, dirigeante fondatrice du réseau Viagimmo. « J’ai dans ma clientèle quelques particuliers, notamment des expatriés, des commerçants et des professions libérales, qui investissent régulièrement dans des biens en viager pour muscler à terme leur retraite. Je vois même des parents qui achètent avec leurs enfants via des SCI familiales dans un but de transmission », affirme Reza Nakhai, associé fondateur de l’agence Viva Viager.
Viager ou nue-propriété ?
Pour mémoire, la valeur d’un viager se détermine sur la base de trois critères : le prix du bien libre, l’âge du vendeur et son espérance de vie. Le débirentier (celui qui achète) paie un « bouquet », une somme réglée le jour de la signature de l’acte chez le notaire, puis une rente viagère mensuelle versée au crédirentier (celui qui vend). La négociation entre l’acheteur et le vendeur peut porter sur le dosage entre ces deux sommes.
Selon sa situation financière, un acquéreur préférera un bouquet élevé et une rente faible ou l’inverse. Toutefois, la négociation peut aller plus loin. « Un jour, j’ai eu l’occasion de négocier avec succès pour l’acheteur, la mise à sa disposition deux semaines chaque été d’une maison en bord de mer qui était la résidence secondaire du vendeur », se souvient Sophie Richard. Une autre solution qui a depuis peu le vent en poupe consiste à opter pour un bouquet unique. Même s’il est plus copieux, ce montant permet de figer le coût total. On ne parle plus alors de viager mais d’achat en nue-propriété.
Pour réussir son investissement viager, l’acheteur devra avoir un écart d’âge d’au moins 25 ans avec le senior. Cette marge de sécurité permet d’attendre sereinement le débouclage de l’opération. Les biens les plus prisés sont ceux occupés par une personne seule et de préférence par un homme, en raison de son espérance de vie plus courte que celle d’une femme du même âge.
Contrairement à une idée reçue, opter pour un viager vendu par un couple n’est pas une si mauvaise affaire. « Acheter à un homme seul de 78 ans permet une décote de 39 % mais à un couple avec une femme du même âge, cela passe à 48 % », explique Sophie Richard.
Pas de dégradations
Pour un investisseur, ce mode de détention cumule les atouts. D’abord, le bien ne se détériore pas ou peu. « Il est vrai que c’est un achat dans la pierre qui ne génère aucuns soucis. Les risques de dégradations du logement sont très limités par rapport celle d’une location standard où l’occupant, de passage, sera moins attaché au bien », affirme Reza Nakhai. Car même si le senior n’est officiellement plus le « propriétaire des murs », il va continuer à prendre soin de « sa maison » comme avant.
Ensuite, cette habitation ne générant aucuns revenus fonciers, son entrée dans un patrimoine ne déclenche pas de fiscalité supplémentaire concernant l’impôt sur le revenu. Signe du retour en grâce du viager, de nouveaux acteurs sont récemment venus dépoussiérer ce marché de niche et proposent à la fois des biens standards et dans le haut de gamme. En avril dernier, l’enseigne de luxe John Taylor (Christie’s) a ainsi lancé son activité de viager. Disposant d’un choix étoffé de biens à vendre, ces enseignes immobilières spécialisées constituent un bon intermédiaire pour celui qui souhaite « faire un viager ».
Ces experts expliqueront les règles singulières de cette transaction (calcul du bouquet et de la rente, les termes juridiques, les obligations), ce qui est négociable (dosage bouquet et rente) et ce qui ne l’est pas. Car même s’il n’occupe pas les lieux, le nouveau propriétaire s’engage à régler de nouvelles charges récurrentes. « L’acquéreur doit payer la taxe foncière, les charges de copropriété dites non locatives et aussi les gros travaux (ravalement, toiture…) », précise Vincent Desmarie, directeur associé de Barnes Viager.
La crise sanitaire a eu récemment pour effet d’étoffer l’offre, car les seniors et leurs enfants redécouvrent les vertus du viager qui permet de rester à domicile dans de bonnes conditions financières et de confort. Reste que les particuliers doivent désormais être réactifs car la concurrence s’est accrue depuis l’arrivée, il y a deux ans, d’investisseurs institutionnels gestionnaires de fonds viager. « Grâce à une collecte croissante dans le cadre de ces véhicules collectifs, ces acteurs disposent d’une force de frappe financière. Ils achètent les biens vite, cash et sans rente. Et en ce moment, ils raflent tout », indique Vincent Desmarie.
6 exemples récents de ventes en viager
- Paris 8e : avenue Montaigne, 88 m2 avec une chambre de service, homme de 82 ans. Valeur vénale : 2.950.000 €, valeur occupée : 2.250.000 € (100 % de bouquet)
- Paris 14e : Rue du Montparnasse, 48,5 m2, femme de 93 ans. Valeur vénale : 580.000 €, bouquet de 185.000 € et rente viagère de 4.000 €/mois
- Paris 16e : Avenue Victor-Hugo, 130 m2, femme de 85 ans. Valeur vénale : 1.500.000 €, valeur occupée : 1.100.000 € (100 % de bouquet)
- La Garenne-Colombes (92) : rue Gustave-Rey, 64 m2, femme de 75 ans. Valeur vénale 500.000 €, bouquet de 35.000 € et rente viagère de 1.500 €/mois
- Saint-Brévin-les-Pins (44) : maison de 112 m2, homme de 72 ans, valeur vénale 360.000 €, bouquet de 75.000 € et rente viagère de 800 €/mois
- Ramatuelle (83) : quartier de L’Escalet, villa de 225 m2, homme de 80 ans et femme de 85 ans. Valeur vénale 5.250.000 €, valeur occupée : 3.250.000 € (100 % de bouquet)
Sources : Viva Viager, Barnes Viager