“Je n’aime pas l’expression devoir de mémoire. Le seul devoir, c’est d’enseigner et de transmettre”, déclarait Simone Veil*. Ces quelques mots me semblent des plus précieux. Ils soulignent le caractère essentiel des liens intergénérationnels, dont découle un partage instructif et fondamental. Toutefois, nous assistons souvent dans les espaces publics à des discussions autour d’une possible crise intergénérationnelle dont notre époque serait victime. Cette dernière remet-elle en cause la pérennité du partage intergénérationnel ?
Nous constatons une peur grandissante d’une guerre générationnelle. La moitié des Français estimaient en 2021 que le lien entre les personnes des différentes générations s’était plutôt affaibli ces vingt dernières années*. Mais pourquoi une telle crainte surgit t-elle ?
Nous constatons que notre société contemporaine s’inscrit dans une valorisation du dynamisme*. En d’autres termes, il faut être en perpétuel mouvement afin de suivre un monde en permanente évolution. Ainsi, dans cette ébullition émerge le “jeunisme”, qui qualifie un culte des valeurs associées à la jeunesse, comme la beauté et la performance. Par opposition, survient inévitablement un rejet du “vieux”, qui renvoit désormais à une forme de lenteur, d’usure, à un monde désuet, voire déjà disparu. Ainsi, cette division entre âgisme et jeunisme serait à l’origine d’une crainte de rupture intergénérationnelle.
Pourtant, nous pourrions envisager que la fracture intergénérationnelle ne serait que fiction*. En fait, ces fractures pourraient simplement être d’ordre territoriales et sociales. Autrement dit, il pourrait s’agir de conflits politiques, dont les acteurs ne seraient en aucun cas les générations. Au contraire, dans le lien intergénérationnel figure une force, un espoir pour un futur meilleur. Les relations intergénérationnelles s’inscrivent avant tout dans le registre affectif pour 60% des français*. Figurent ainsi dans les liens générationnels l’amour ! Un amour qui s’exprime bien souvent par la transmission des savoirs et par l’enseignement. Rassurons-nous donc, les liens intergénérationnels et affectifs sont toujours aussi puissants ! Pierre-Henri Tavoillot, philosophe évoquant la question des liens intergénérationnels image ainsi avec la transmission comme la “saveur du crépuscule”.
Nous le comprenons, la pensée de Madame Veil se teinte ici d’un sens encore plus profond. Finalement, peut-être pourrions-nous considérer que la collaboration entre les générations permet de mieux relever les défis de notre époque en combinant des savoirs et des points de vue. A défaut d’opposer la jeunesse et la vieillesse, considérons la richesse figurant dans leur alliage de force et de vigueur d’une part, de sagesse et de résilience d’autre part. Appelons cela faire corps. Faisons corps, et penchons du côté de la vie, dans toute sa multiplicité et sa diversité !